Tectonique des plaques

Août 4, 2021 | Médias

Matthieu Deprieck – Copyright 2021 L’Opinion All Rights Reserved

Cinq ans après sa création, En Marche est accompagné de nombreux partis partenaires : le MoDem, Agir, Territoires de progrès, En Commun. D’autres structures plus informelles ont intégré l’écosystème dont la

« République des maires » autour d’Edouard Philippe. Le mouvement radical tend lui aussi la main aux marcheurs.

Cela s’appelle avoir le sens du timing. A la rentrée de septembre, La République en marche attaquera la campagne présidentielle dans un nouveau quartier général, plus vaste que le précédent. Bien vu. Il permettra d’aligner tout un tas de ronds de serviette autour d’une très longue table réservée au nom des partenaires de la majorité.

Au MoDem, allié historique d’En Marche, s’était déjà joint le parti de centre-droit Agir en novembre 2017, puis, début 2020, sa déclinaison à gauche, Territoires de progrès. Ce quatuor a préparé ensemble les élections régionales et départementales de juin dernier, décorant les communiqués officiels de la majorité présidentielle de jolis logos.

Ils ne sont plus les seuls. En octobre 2020, En Commun, association créée par les députés Hugues Renson et Jacques Maire, accompagnés de la ministre Barbara Pompili, s’est constitué en parti politique avec l’intention de peser dans les débats internes à la macronie. Dans cette galaxie, flottent également quelques groupuscules informels agrégés autour de têtes d’affiche : La République des maires, sorte d’amicale des amis d’Edouard Philippe ou la France audacieuse de Christian Estrosi.

Décomposition. La liste est encore incomplète. Les 10 et 11 juillet derniers, le mouvement radical a tenu ses journées d’été. Stanislas Guerini pour La République en marche, Marc Fesneau pour le MoDem et Louis Vogel pour Agir y ont entendu le président du plus vieux parti de France, Laurent Hénart les appeler à élargir la majorité. « Depuis 2017, nous assistons à une décomposition politique. Les anciens partis sont à la peine, les nouveaux ne vont pas mieux. Toutes les formations sont contestées », explique à l’Opinion Laurent Hénart.

Alliés de la majorité aux élections européennes de 2019, les radicaux avaient repris leur distance après les municipales de 2020. Ils y avaient perdu quatre de leurs six plus grosses villes, dont Tours et Montélimar, communes dans lesquelles des marcheurs s’étaient présentés contre leurs maires sortants. « Il faut aller à la présidentielle dans un état d’esprit de reconstruction d’une majorité. L’important est de battre Marine Le Pen en passant un pacte démocratique et de confiance avec les Français pour moderniser le pays et ne laisser personne sur le bord de la route », confirme Laurent Hénart. Ce come-back inquiète les députés LREM, conscients que plus les convives sont nombreux, moins les parts du gâteau à se partager seront copieuses.

« Les radicaux, ça ennuie tout le monde. S’ils veulent trente circonscriptions dont quinze gagnables, ça créera des problèmes », confie l’une d’elles. Laurent Hénart confirme que l’objectif est d’obtenir aux prochaines législatives un groupe parlementaire, soit quinze députés. « Ne vaut-il pas mieux avoir plusieurs groupes avec une ligne politique cohérente plutôt qu’un parti unique ? », interroge-t-il.

Chaque étape de la prochaine campagne présidentielle sera multipliée par le nombre de partenaires Les futures élections législatives de juin 2022 alimentent déjà les inquiétudes. Fidèle à sa réputation, le

MoDem montre les muscles. Un cadre de la formation centriste compte 112 députés prêts à être investis et prévient : « On n’est pas obligé de se battre mais on peut s’entraîner ». Une élue d’Agir confirme ce qui se dessine : « Aux législatives, chacun va vouloir compter ses petits. »

Embouteillage d’idées. Ce brûlant dossier n’est pas le seul à illustrer les difficultés d’une majorité passée de continent à archipel. Chaque étape de la prochaine campagne présidentielle sera multipliée par le nombre de partenaires. A commencer par la rentrée politique. Les 11 et 12 septembre, En Commun se réunira à Paris. Du 24 au 26, le MoDem se retrouvera dans le Morbihan, à Guidel. Le même week-end, Agir sera à

Coulommiers, en Seine-et-Marne. Le suivant, début octobre, cap sur Avignon pour le « campus des territoires » de La République en marche. Enfin, Territoires de progrès se réunira la semaine suivante pour désigner son chef de file et trancher des questions déterminantes pour son avenir.

A chaque étape de ce tour de France de la macronie, des propositions seront déposées sur le bureau d’Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat croulera sous les idées qu’il sera invité à intégrer à son futur programme de campagne. « On veut peser à gauche sur les questions comme le revenu jeunes, l’Europe et le travail », prévient le délégué général du mouvement, Gilles Savary, qui ambitionne de parler « à toutes les gauches, pas forcément celles de la majorité ». Son voisin, cofondateur d’En Commun, Hugues Renson veut, lui, assumer une ligne politique en dévoilant à la rentrée « des marqueurs politiques : sur l’adaptation de notre modèle, les solidarités, la souveraineté, l’écologie, ou les questions sociétales comme l’allongement du délai légal de recours à l’IVG ou la fin de vie. Il faut investir dans les biens communs tels que la justice, la culture, la sécurité, l’éducation. Les sortir des logiques de rentabilité ».

De leur côté, les radicaux ont commencé à travailler sur les thèmes de la jeunesse ou de la transition écologique. A Coulommiers, Agir présentera, lui, ses propositions sur les institutions, la justice, la sécurité et la dépendance. Pour la République en marche, ce ne sera que les grandes lignes lors de son raout d’Avignon. Les Jeunes avec Macron, liés à En Marche mais qui cultivent leur indépendance, visent, eux, décembre avec une idée derrière la tête : organiser un rassemblement le 10 décembre pour fêter les cinq ans du meeting à la Porte de Versailles, passé à la postérité pour la phrase « Parce que c’est notre projet » hurlé par le candidat Macron. Les JAM devraient y rappeler qu’ils sont favorables à une légalisation du cannabis.

Des écolos d’En Commun aux libéraux d’Agir, il y a évidemment un monde, qu’il sera impossible de rassembler autour d’un projet commun. « Il faut assumer nos différences de sensibilités. La politique, c’est avoir l’audace de défendre ses convictions. Dire ce à quoi on croit, c’est le préalable à tout », décrit Hugues Renson, qui attend de la majorité qu’elle s’organise « en râteau ».

« La faiblesse du parti présidentiel a entraîné la fragmentation de la majorité », constate un député

« Village et traditions ». Le « râteau » de 2021 sera-t-il la « maison commune » de 2020 ? Stanislas Guerini avait rêvé de pouvoir réunir sous un même toit tous les partenaires de la majorité mais ces derniers se sont méfiés d’une configuration qui provoquerait leur dissolution dans une vaste fédération. La « maison commune » a vécu. « Elle est devenue une maison close. Avec les partenaires comme clients et La République en marche comme produit de consommation », moque un cadre marcheur.

« La faiblesse du parti présidentiel a entraîné la fragmentation de la majorité », constate un député. Chacun veut capitaliser sur la frustration des élus LREM ou la déception des candidats recalés lors d’élections locales ratées. Face à ce paysage sans cesse mouvant, les dirigeants macronistes essaient de garder les rangs serrés. Début juillet, le président du groupe LREM à l’Assemblée, Christophe Castaner s’était montré agacé du départ de la députée Alexandra Louis pour le groupe Agir : « C’est une infraction à notre pacte de la majorité ». « Si En Marche nous avait autorisés hier à recueillir leurs députés en rupture de ban, ils n’auraient pas définitivement quitté la majorité aujourd’hui », répond un parlementaire du MoDem.

Cet éparpillement des forces dessine pour la majorité un avenir saturé de réunions interminables et de comités de liaison pléthoriques. D’autant que les partenaires des marcheurs ne manquent pas d’imagination pour faire valoir leurs idées et revendications. Un poids lourd de la macronie se marre : « Dans ce cas-là, moi, je vais créer Villages et traditions et dire que je représente l’aile droite de la majorité ». « Villages et traditions », combien de députés ?

Stanislas Guerini, Franck Riester et François Bayrou Sipa Press

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